Observatoire du plancton dans la rade de

Marseille

Un écosystème marin sous pression

La rade de Marseille, zone côtière semi-fermée au cœur de la Méditerranée nord-occidentale, est un hotspot de biodiversité planctonique. Depuis 1994, un suivi bi-hebdomadaire y est assuré par la station SOMLIT-Frioul. Cette base de données de long terme a permis aux scientifiques d’examiner les effets croisés du réchauffement climatique, de l’eutrophisation et de la pollution sur la dynamique du plancton. Le présent article résume les principales avancées scientifiques des années 2018 à 2023.

Basculement des communautés planctoniques

Des études récentes ont mis en lumière une restructuration profonde des communautés planctoniques. Chez le phytoplancton, les grandes diatomées siliceuses déclinent au profit de petites cellules (nano- et picophytoplancton), signe d'une oligotrophisation croissante liée à la baisse des apports nutritifs et à la stratification accrue de la colonne d’eau.

Du côté du zooplancton, une chute de 30 à 50 % de la biomasse et un changement de composition ont été observés : les copépodes dominants laissent place à une plus grande diversité (salpes, chaetognathes, crustacés gélatineux). Deux ruptures majeures ont été identifiées en 2009 et 2013, avec notamment une perte des grands organismes (>1 mm) et une modification de la phénologie des cycles reproductifs. Ce phénomène illustre un contrôle trophique de type "bottom-up", où la base de la chaîne alimentaire conditionne les niveaux supérieurs.

Qualité nutritive et fonctionnement trophique

Les analyses biochimiques (protéines, lipides, glucides) et isotopiques ont révélé une importante variabilité saisonnière de la valeur énergétique du zooplancton. Les fractions intermédiaires (200–1000 µm) concentrent le maximum d’énergie disponible, crucial pour les jeunes poissons planctonophages. La réduction des grandes formes phytoplanctoniques semble entraîner une perte de qualité nutritionnelle à la base du réseau trophique.

Changement climatique et pollution : double peine

Le réchauffement climatique accentue la stratification printanière, limitant la remontée des nutriments. Les données montrent aussi une tropicalisation partielle de la faune planctonique, avec une apparition plus précoce des salpes.

Par ailleurs, les études alertent sur la pollution microplastique croissante : jusqu’à 500 000 fragments/km² en surface, avec un ratio moyen de 1 microplastique pour 11 organismes zooplanctoniques. Les moules utilisées comme bio-indicateurs révèlent une contamination importante (~87 % des individus). Les effets écologiques incluent ingestion, bioaccumulation, et transport de polluants chimiques (57 types identifiés).

Plusieurs axes de recherche restent à développer :

  • Le microzooplancton (20–200 µm) et les protistes restent peu étudiés malgré leur rôle central.
  • Les liens entre plancton et poissons (via métabarcoding et isotopes) doivent être clarifiés.
  • Les effets d’événements extrêmes (crues, canicules) sur la dynamique planctonique sont mal documentés.
  • La diversité génétique et fonctionnelle reste largement inconnue, notamment via la métagénomique.
  • Les effets synergiques des stress multiples (pollution, température, acidification) doivent être mieux modélisés.

L’essor de la science citoyenne et des technologies ouvertes ouvre de nouvelles perspectives :

  • Le PlanktoScope, microscope open source, permet l’imagerie automatisée du plancton. Il pourrait équiper bateaux de plaisance et associations locales.
  • La plateforme EcoTaxa, utilisée par les chercheurs pour classifier les images (via des CNN), est progressivement ouverte aux citoyens pour annoter les données.
  • D’autres outils émergent, comme le FlowCam, le Cytobuoy ou le réseau Phenomer, qui permettent de signaler les efflorescences algales (eaux colorées).

L’observatoire confirme son rôle pour comprendre l’évolution des écosystèmes côtiers face aux pressions globales. Il est essentiel de :

Pérenniser et densifier les suivis planctoniques,

  • Intégrer les citoyens et les nouvelles technologies,
  • Combler les lacunes scientifiques sur les maillons invisibles du réseau trophique.
  • La rade de Marseille, entre science, société et biodiversité, est une sentinelle précieuse des changements en Méditerranée.